Préparation CAPES Espagnol
Cours de M. Heusch


Le problème de l'homme moderne n'est pas sa méchanceté. Au contraire, il préfère, dans l'ensemble, pour des raisons pratiques, être gentil. Simplement il déteste s'ennuyer. L'ennui le terrifie alors qu'il n'y a rien de plus constructif et généreux qu'une bonne dose quotidienne de temps morts, d'instants chiants, d'emmerdement médusé, seul ou à plusieurs. Octave l'a compris : le vrai hédonisme, c'est l'ennui. Seul l'ennui permet de jouir du présent mais tout le monde vise le contraire : pour se désennuyer, les Occidentaux fuient par l'intermédiaire de la télé, du cinéma, d'Internet, du téléphone, du jeu vidéo, ou d'un simple magazine. Ils ne sont jamais à ce qu'ils font, ils ne vivent plus que par procuration, comme s'il y avait un déshonneur à se contenter de respirer ici et maintenant. Quand on est devant sa télé, ou devant un site interactif, ou en train de téléphoner sur son portable, ou en train de jouer sur sa Playstation, on ne vit pas. On est ailleurs qu'à l'endroit où l'on est. On n'est peut-être pas mort, mais pas très vivant non plus. Il serait intéressant de mesurer combien d'heures par jour nous passons ainsi ailleurs que dans l'instant. Ailleurs que là où nous sommes. Toutes ces machines vont nous inscrire aux abonnés absents, et il sera très compliqué de s'en défaire. Tous les gens qui critiquent la Société su Spectacle ont la télé chez eux. Tous les contempteurs de la Société de Consommation ont une carte Visa. La situation est inextricable. Rien n'a changé depuis Pascal : l'homme continue de fuir son angoisse dans le divertissement. Simplement le divertissement est devenu si omniprésent qu'il a remplacé Dieu. Comment fuir le divertissement ? En affrontant l'angoisse.
Le monde est irréel, sauf quand il est chiant.

Frédéric BEIGBEDER : 99 F(2000)